Le 15 novembre 2025 restera une date importante dans l’histoire institutionnelle du Bénin. L’Assemblée nationale a adopté, par une large majorité de 90 voix contre 19, une révision constitutionnelle majeure instaurant deux changements structurels : la création d’un Sénat et le passage des mandats électifs de cinq à sept ans. Cette réforme, qui suscite de nombreux débats, mérite une analyse approfondie pour en comprendre la portée et la pertinence dans le contexte béninois actuel.
Le mandat de 7 ans : un choix pour la stabilité et la vision à long terme
1. La maturation des projets de développement
Dans un pays en développement comme le Bénin, les grands projets structurants nécessitent du temps pour être conçus, lancés et portés à maturité. Un mandat de cinq ans est souvent insuffisant pour permettre à un gouvernement de réaliser des réformes d’envergure. Comme l’a souligné le porte-parole du gouvernement, Wilfried Léandre Houngbédji, un cycle de sept ans offre un délai suffisant pour mener des projets d’envergure et consolider les politiques publiques, particulièrement dans les pays en développement où la maturation des programmes nécessite plus de temps.
L’expérience de nombreux pays montre qu’une durée de mandat plus longue favorise une planification à moyen et long terme. Les investisseurs étrangers, les partenaires au développement et les institutions internationales apprécient également cette stabilité qui permet de construire des relations durables et de mener des politiques cohérentes sur plusieurs années.
2. La réduction des coûts électoraux
Un argument pragmatique mais essentiel : l’organisation d’élections représente un coût budgétaire considérable pour l’État. En Afrique, où les ressources sont souvent limitées, chaque élection mobilise des moyens financiers, humains et logistiques importants. Le passage à des mandats de sept ans permettra d’économiser deux années de dépenses électorales par cycle, des ressources qui pourront être réinvesties dans des secteurs prioritaires comme l’éducation, la santé ou les infrastructures.
Cette économie budgétaire peut compenser, en partie, les coûts liés à la mise en place du Sénat, créant ainsi un équilibre financier tout en renforçant l’architecture institutionnelle du pays.
3. L’efficacité gouvernementale accrue
Un mandat de sept ans permet au chef de l’État et à son équipe de se concentrer davantage sur la gouvernance et moins sur les campagnes électorales permanentes. Dans un système de quinquennat, le président est souvent contraint de penser à sa réélection dès le milieu de son mandat, ce qui peut influencer ses décisions dans un sens électoraliste plutôt que dans l’intérêt à long terme du pays.
Comme l’ont souligné plusieurs experts constitutionnalistes, notamment dans le contexte français, un mandat plus long permet au président de s’extraire des contingences politiciennes et de prendre des décisions courageuses, même impopulaires à court terme, mais nécessaires pour l’avenir du pays. Cette liberté d’action est cruciale pour mener les réformes structurelles dont le Bénin a besoin.
4. Une garantie contre les dérives
Il est important de noter que la réforme maintient strictement la limitation à deux mandats au cours de la vie d’un président. Cette disposition constitutionnelle fondamentale, inscrite à l’article 42 de la Constitution, demeure intangible. Ainsi, l’allongement du mandat ne compromet nullement les principes démocratiques et l’alternance politique. Un président ne pourra exercer que 14 ans maximum, comme c’était le cas sous l’ancien système de deux septennats.
Le Sénat : un pilier pour la sagesse institutionnelle
1. Un conseil de sages au service de la nation
La création d’un Sénat représente une avancée majeure dans l’évolution institutionnelle du Bénin. Cette chambre haute, composée d’anciens chefs d’État, d’anciens présidents d’institutions et d’autres personnalités d’expérience, aura pour mission de réguler la vie politique, de sauvegarder l’unité nationale et de renforcer la démocratie.
Le Sénat apporte une dimension de sagesse et d’expertise que seule l’expérience peut conférer. Comme l’a justement souligné le député Assan Seybou : « Chaque fois qu’il y a une situation de crise, nous faisons appel à nos anciens chefs d’État, à nos anciens responsables d’institution, personnes ressources d’expériences. Il faut trouver un creuset où ils peuvent se retrouver tous. Et ça s’appelle le Sénat. »
2. Le bicamérisme : un gage de qualité législative
L’instauration d’un système bicaméral permet d’améliorer significativement la qualité de la législation béninoise. Le double examen des textes législatifs offre plusieurs avantages majeurs :
L’approfondissement de la réflexion : Le bicamérisme permet de mieux débattre de points de vue initialement opposés, de croiser les expériences et d’enrichir les solutions retenues. Le temps des navettes parlementaires n’est pas un retard mais la respiration même du débat démocratique et un facteur de qualité de la loi.
La prévention des décisions hâtives : Une chambre unique peut être tentée d’adopter des lois dans la précipitation, sous la pression de l’actualité ou de logiques partisanes. Le Sénat joue un rôle modérateur en permettant une seconde lecture, évitant ainsi les risques de réformes inopportunes qui peuvent être le fruit d’initiatives impulsives.
Une représentation plus diversifiée : Le Sénat permet d’inclure dans le jeu démocratique institutionnel des composantes de la communauté nationale auxquelles l’Assemblée nationale seule ne peut offrir une représentation satisfaisante. Il assure notamment la représentation des collectivités territoriales et des traditions, ancrant ainsi la démocratie dans les réalités locales.
3. Un modèle éprouvé dans le monde
Le bicamérisme n’est pas une invention récente ni une expérimentation hasardeuse. Il est pratiqué avec succès dans la plupart des grandes démocraties du monde : les États-Unis, la France, l’Allemagne, le Canada, le Royaume-Uni, l’Afrique du Sud, pour ne citer que quelques exemples. Ces pays ont compris que la complexité des sociétés modernes nécessite une architecture institutionnelle sophistiquée capable de représenter la diversité nationale et d’assurer un équilibre des pouvoirs.
Le Bénin, souvent considéré comme un modèle démocratique en Afrique de l’Ouest, fait ainsi un pas vers une maturité institutionnelle qui correspond à son statut et à ses ambitions de développement.
4. La stabilité institutionnelle en période de crise
Un avantage souvent méconnu du Sénat concerne son rôle en période de crise institutionnelle. En cas de vacance de la présidence, c’est le président de l’assemblée nationale qui assure l’intérim, mais le Sénat assure la stabilité garantissant ainsi la continuité de l’État. Cette disposition, contribue à assurer la stabilité des institutions démocratiques et républicaines dans les moments critiques.
Une réforme conforme aux engagements internationaux
Certaines voix se sont élevées pour questionner la conformité de cette réforme avec les engagements du Bénin, notamment vis-à-vis de la CEDEAO. Le député Aké Natondé a apporté des clarifications essentielles sur ce point : la modification opérée « ne touche pas au Code électoral », mais exclusivement à la Constitution, considérée comme la loi suprême.
Le protocole additionnel de la CEDEAO encadre strictement les révisions des règles électorales, notamment celles intervenant immédiatement avant une élection. Or, aucune disposition électorale n’a été modifiée. L’Assemblée nationale, en agissant sur la Constitution, n’a donc enfreint ni l’esprit ni la lettre du protocole régional.
Un moment propice pour la réforme
Le timing de cette réforme est particulièrement judicieux. Le président sortant, Patrice Talon, ne peut plus se représenter en 2026, ayant déjà accompli deux mandats. Cette situation écarte toute suspicion de manipulation personnelle et démontre que la réforme vise véritablement l’intérêt institutionnel du pays et non les intérêts d’un individu.
Comme l’a souligné le député Aké Natondé, « le moment est idéal pour engager une telle transformation, puisque le chef de l’État sortant n’est pas candidat et que nul ne connaît encore l’identité de son successeur. » Cette neutralité contextuelle confère à la réforme une légitimité particulière.
Regarder vers l’avenir avec ambition
Ces changements, loin d’affaiblir la démocratie béninoise, la renforcent en l’adaptant aux défis contemporains. Ils témoignent de la maturité politique d’un pays qui ose innover tout en respectant les principes fondamentaux de l’alternance et de la limitation du pouvoir.
Le Bénin, berceau de la démocratie en Afrique de l’Ouest, confirme une fois de plus sa capacité à se réinventer et à tracer sa propre voie institutionnelle. Cette réforme ouvre une nouvelle page de notre histoire politique, celle d’institutions plus fortes au service d’un développement durable et d’une démocratie apaisée.
L’avenir jugera cette réforme à l’aune de ses résultats concrets pour le peuple béninois. Donnons-lui la chance de faire ses preuves.





